Nouveau directeur du Glion Institut de Hautes Études, Philippe Vignon incarne le profil du leader moderne, capable de donner sans se perdre, de faire preuve de créativité comme de rigueur, d’être intuitif et rationnel. Un mélange subtil de contraires apparents que COTE Magazine a exploré pour vous.
L’Oréal, EasyJet, Edipresse, Genève Tourisme et Congrès, puis Glion: quel est le fil rouge de votre carrière ?
«C’est un fil rouge que j’ai intégré lorsque j’étais chez EasyJet: travailler dans un modèle d’affaires disruptif m’a appris à multi dimensionnaliser une organisation, à la regarder sous tous les angles pour chercher l’efficacité, la cohérence et l’alignement. Mon moteur, c’est la transformation au sens d’une évolution qui rend l’organisation «fit for purpose», en phase avec ses publics et ses clients. Derrière les processus, il y a les humains. Une organisation performante, c’est des personnes à la bonne place, alignées entre leur raison d’être et les objectifs de l’entreprise. Le rôle du leader, c’est d’être au service des équipes pour créer cet alignement, individuellement et collectivement, et éviter de projeter ses propres biais. Dans un monde où la marque employeur est scrutée, l’incohérence entre les valeurs affichées et le vécu interne se voit. Avec les nouvelles générations, la quête de sens est cruciale: à nous de créer engagement et motivation en donnant du sens.»

Qu’est-ce qui vous anime ? Que recherchez-vous dans votre vie professionnelle ?
«Ma mission est de développer le potentiel réel de chaque individu et d’une communauté. J’ai du mal à accepter qu’une personne se limite. Mon style est d’amener chacun à se poser les bonnes questions. Une fois, j’ai dû licencier quelqu’un qui était devenu toxique, car plus à sa place. Trois ans plus tard, cette personne m’a remercié: j’avais été le premier à nommer clairement un comportement qui la desservait. Parfois, on ne me l’a pas pardonné. Je privilégie les échanges vrais plutôt que le jargon ou le jeu politique. Walk the talk: si je prône l’alignement à une mission personnelle, je dois l’incarner moi‐même, tout en acceptant que tout le monde n’a pas envie d’entrer dans cette démarche.»
Comment choisissez-vous vos défis ?
«Un mélange de curiosité et d’opportunités; et surtout le timing. J’ai vérifié, pendant mon recrutement au sein de Glion, le match réciproque: j’ai multiplié les entretiens, visité les campus, me suis assuré de pouvoir m’identifier émotionnellement à la marque. Aujourd’hui, mon profil correspond à ce dont Glion et Sommet Education ont besoin; trois ans plus tôt, peut‐être pas.»

Quelles sont, selon vous, les trois forces pour lesquelles on vous choisit ?
«Une curiosité presque maladive et une ouverture d’esprit. Une grande vitesse d’observation et de lecture des enjeux, pour aller vite à l’essentiel. Un courage managérial: privilégier le collectif, dire les choses, trancher quand il le faut. Mes anciens collaborateurs diraient: direct, empathique, assertif, exigences élevées, et du challenge.»
«Think out of the box» est devenu votre marque de fabrique: comment développer cela ?
«Mon parcours peut paraître atypique et chez EasyJet, le rôle de challenger que j’ai joué a renforcé ce côté‐là. Mais je l’avais déjà. Pour «penser hors cadre», il faut être aligné avec la culture d’une organisation, pas seulement avec l’image d’une marque. J’ai quitté EasyJet quand je n’étais plus aligné: la logique de résultats trimestriels d’une société cotée qui poussait à des décisions court‐termistes, ce n’était plus moi. Penser autrement, c’est d’abord rester soi, quitte à partir quand la culture ne nous correspond plus.»
À quel point votre personnalité a-t-elle fait votre succès ? Quelles caractéristiques vous aident le plus ?
«Environ 80%. Il y a d’abord mes racines: une éducation internationale avec deux parents très différents, pragmatisme humble d’un côté, ouverture intellectuelle de l’autre, qui m’a donné une adaptabilité naturelle. Puis, de la curiosité et un esprit d’aventure. Enfin, le fait d’avoir changé de secteurs m’a obligé à apprendre vite, à relier, à rester dans une posture de «je ne sais pas» tout en captant les enjeux clés.»

Comment comptez-vous utiliser cela avec Glion?
«D’abord, écouter à tous les niveaux: j’ai vu mes directeurs, mais aussi le contremaître à Bulle, la femme de chambre à Londres… pour recueillir priorités et attentes. Glion dispose d’une équipe technique très forte; mon rôle est de créer de la cohérence au niveau collectif, de simplifier où c’est possible, de rappeler les règles du jeu partagées, de clarifier rôles et responsabilités et de faire travailler ensemble les départements. Glion est précurseur dans ce que l’on nomme la Transformative education, je souhaite affiner son offre d’éducation transformationnelle, et de repositionner le luxe de Glion en passant par exemple d’un dress code formel à un dress style responsable, au sein duquel on parle de cohérence personnelle et d’élégance vécue. C’est un levier pédagogique pour définir le luxe contemporain et ses codes en évolution. Je souhaite insister également sur le développement chez les étudiants des soft skills, d’une intelligence contextuelle, d’un sens de l’hospitalité authentique, en plus des compétences techniques. C’est un alignement entre ce qu’on est et ce qu’on exprime.»
Qu’avez-vous vu comme potentiel lorsque l’offre est apparue ?
«Une marque mondiale, un positionnement qui mérite d’être communiqué plus clairement, une expertise technique élevée, une communauté engagée derrière une éducation qui transforme et une employabilité très forte des diplômés. Le moment était bon et l’attente du groupe Sommet Education correspond à ce que je suis aujourd’hui.»
Après quelques mois, comment voyez-vous les choses ?
«Je confirme trois forces clés de Glion: une approche boutique de transformative education avec forte individualisation; un portefeuille Bachelor/Master solide et une accréditation suisse récente qui renforce la légitimité; enfin: une redéfinition ambitieuse du luxe contemporain (et sa mise en pratique, incarnée par les équipes). Si nous incarnons réellement cela, Glion va gagner en attractivité. À titre personnel, à 8 ans, j’ai suffisamment travaillé mon ego pour le laisser à sa place: je suis au service d’un projet plus grand que moi. Mon ambition, dans quelques années, est de pouvoir dire «on» a réussi, en équipe.»






