Depuis qu’elle est enfant, Anita Porchet explore le monde de l’infiniment petit: sa passion, le travail de l’émail, une poudre vitreuse colorée appliquée sur un support en métal, puis fixée par une cuisson à haute température pour créer une surface brillante et résistante.
L’émaillage est considéré comme un artisanat d’art, tant la maîtrise du feu et son influence sur les couleurs requiert patience, années de pratique et surtout résilience. Dans ce monde de l’ultra petit et de l’ultra délicat, il faut en effet de nombreux essais avant d’atteindre le rendu souhaité.
Née à La Chaux-de-Fonds, berceau horloger par excellence, Anita Porchet a découvert l’émail à l’âge de 12 ans auprès de son parrain, musicien et graveur. En 1972, alors que la crise s’abat sur l’horlogerie suisse, et que ce dernier doit se résoudre à délaisser la gravure et le sertissage au profit de l’émail, Anita développe un intérêt grandissant pour cet artisanat. Dans cet univers familial sensiblement artistique où la beauté du geste est un crédo, la jeune fille passe ainsi de nombreuses heures, durant les week-ends et les vacances, à la finalisation de certaines pièces.
Une fois le moment de l’université arrivé, l’émail n’étant pas du tout une discipline à la mode, si bien que la section avait fermé ses portes quelques années auparavant, Anita s’inscrit aux beaux-arts à Lausanne. De 1980 à 1985, l’émailleuse en herbe fait la rencontre d’Elisabeth Juillerat, auprès de laquelle elle apprend de nouvelles techniques d’émaillage afin de compléter son diplôme de fin d’études. C’est à cette époque aussi qu’elle fait la rencontre de Suzanne Rohr, pionnière de la miniature sur émail.


En parallèle, Anita continue de réaliser des créations dans son atelier, sans jamais penser qu’elle puisse un jour en faire son métier. Après six ans d’enseignement des beaux-arts, elle décide pourtant de suivre son rêve et de se consacrer entièrement à sa passion. Après une première commande de Jacquet-Droz en 1996, la machine est lancée, même si les premières années d’indépendance sont précaires.
Ulysse Nardin, Audemars Piguet, Vacheron Constantin, Piaget, Chanel, Hermès, l’émailleuse se fait petit à petit un nom auprès des grandes maisons, qui la mandatent pour leurs projets les plus complexes. En particulier sous l’impulsion de Philippe Stern (Patek Philippe), Anita Porchet développe un style qui lui est propre, mais auquel elle préfère ne pas donner de définition: «L’émail est une interprétation. La technique choisie dépend de notre sensibilité et de ce que l’on souhaite transmettre. Mon but premier est que le rendu soit le plus esthétique possible, même si lorsque mes pairs reconnaissent ma patte parmi d’autres, c’est une immense fierté.»
Parmi ses pièces marquantes, une série sur le thème de la rose réalisée pour Piaget ou la montre de poche du 175e anniversaire de Patek Philippe en 2014 occupent une place centrale dans son parcours et dans son cœur. Plus récemment, Anita a dévoilé un autre spécimen d’une beauté rare, limité à huit exemplaires: la montre Altiplano Skeleton High Jewellery Métiers d’art, en collaboration avec les Ateliers de l’Extraordinaire de Piaget.
Ambassadrice d’un savoir-faire dont les spécialistes se comptent sur les doigts d’une main, Anita Porchet rappelle l’importance de la préservation d’un patrimoine en danger: «Aujourd’hui, l’industrie horlogère forme ses émailleurs en interne, et certaines étapes de la discipline ont malheureusement déjà été robotisées. Nous avons besoin de conserver les différentes techniques d’émaillage, ce côté fait main. Dans ce souci de préservation, j’ai volontairement conservé peu d’outillage tout au long de ma carrière.»

A la croisée de l’horlogerie, de la joaillerie, et de la décoration, l’émaillage permet à Anita de créer un univers unique. Mais n’allez pas pour autant lui coller une étiquette d’artiste: «Je suis émailleuse. La dimension artistique d’un objet ne se définit, selon moi, qu’à travers le regard de celui qui le contemple. Le reste n’est que marketing. Si notre création suscite une émotion, les autres ont le droit de considérer que c’est de l’art. Mais je
ne veux en tout cas pas être une vedette ou prétendre l’être.»
Installée en pleine campagne à Corcelles-le-Jorat, Anita puise son inspiration dans la nature, la peinture et la musique. Depuis son établi face aux champs, ou lors de ses promenades avec son chien, Anita «observe les saisons défiler, voit le paysage se métamorphoser, comme un tableau en perpétuelle évolution.» Celle qui aime travailler de ses mains ressent le privilège de cet «équilibre subtil entre le cerveau, le cœur et le geste, qui tisse un dialogue intime entre la pensée et la matière.»
