De la glace canadienne aux salles de conseil suisses, Kim-Andrée Potvin trace un parcours guidé par la passion, la rigueur… et une bonne dose d’enthousiasme. Portrait d’une CEO solaire.
Lorsque je la rencontre pour notre entretien, Kim-Andrée Potvin m’attend depuis quinze minutes. Victime des travaux genevois, je suis en retard. Elle, pourtant, m’accueille avec un sourire chaleureux et me lance: «J’ai attendu pour commander le café, on commence ensemble.» Le ton est donné. Chez Kim, la courtoisie n’est pas un vernis. C’est un style de vie. Née au Canada, dans une famille où la passion est au centre de tout, elle grandit à l’ombre d’un père hockeyeur professionnel et d’un arrière grand-père globe-trotteur. De ses parents, elle hérite l’exigence et le goût de l’effort; de son aïeul, cette soif inextinguible de découverte. «Il avait fait le tour du monde au début du XXe siècle. Un Québécois qui voyageait autant, c’était avant-gardiste. Il m’a donné l’envie de voir plus grand.»
À quatre ans, elle chausse ses premiers patins. Le coup de foudre est immédiat. Pendant quatorze ans, elle s’adonne au patinage artistique, discipline qui lui inculque la rigueur, la résilience, et l’amour du mouvement. «Je suis certifiée entraîneure au Canada», me confie-t-elle non sans fierté. Petite fille timide, elle se transforme à l’adolescence en jeune femme déterminée, consciente que la vie est trop courte pour avoir des regrets. «You have one life», dit-elle, sourire en coin. Une devise qui l’a menée de Montréal à Paris, puis à travers plus de cinquante pays, toujours guidée par l’idée «qu’il n’y a pas de hasard quand on a des rêves, le courage de prendre des risques et de ne rien lâcher». Une philosophie de vie qui illustre parfaitement le mélange de pragmatisme et d’être au bon endroit au bon moment.
Diplômée de McGill, elle enchaîne les stages, les expériences, les rencontres. Elle écrit dans le journal financier de l’université, interroge les patrons, construit pas à pas un parcours hors norme. Son MBA en poche à 22 ans, elle décroche son premier job en France après un aller-retour aussi épique qu’improbable entre Montréal et Paris. Sans aucune garantie, elle monte dans un avion pour Paris, juste pour un entretien de 45 minutes. Mais sur place, elle passe finalement dix heures dans les locaux de l’entreprise, enchaînant les rencontres. Le lendemain, elle repart vers le Canada avec un contrat en poche.
Consultante d’abord, puis cadre chez BNP Paribas, elle gravit les échelons. Mais au début, tout ne coule pas de source. «J’étais la locomotive, mais j’oubliais d’accrocher les wagons», dit-elle en riant. Elle apprend à ralentir, à écouter, à poser des questions. «C’est ce qui m’a permis de devenir une meilleure manager.» Elle pilote finalement 600 personnes et orchestre des transformations de grande ampleur. Mais à 40 ans, elle change de cap. Assez des grands groupes, de l’expatriation permanente, des décisions trop lentes: elle veut de l’impact. Rapide. Humain. Pérenne.
C’est ainsi qu’elle rejoint une première petite banque privée suisse, puis la Banque Bonhôte, à Neuchâtel. Le cadre n’a rien d’un repli. C’est un recentrage. «Ici, le siège est à taille humaine. On agit vite. On se connaît. On avance et ceci nous permet de servir de manière unique nos clients.» Son moteur ? L’enthousiasme. Elle parle de cette émotion avec ferveur. «C’est la plus belle des émotions, parce qu’elle est positive et transmissible.» Elle aime chercher ce qui fait pétiller les yeux de ses collaborateurs. «Enthousiasme vient du grec entheos — l’inspiration divine. C’est quelque chose qu’on ne contrôle pas, mais qu’on ressent profondément.» Une énergie qu’elle cultive aussi hors du bureau. Deux fois par an, elle part observer des animaux endémiques dans leur habitat naturel, accompagnée de biologistes. «La nature me ressource. Elle m’apaise.» Elle a vu les ours polaires de l’Arctique, les gorilles d’Ouganda, les tigres d’Inde. L’Inde, justement, l’a bouleversée. Son premier voyage dans ce pays millénaire a bien failli être le dernier. «Les 48 premières heures, j’ai failli repartir. Trop chaud, trop épicé, trop intense. Le pays m’a résisté. Ou c’est moi qui lui ai résisté. Mais je ne voulais pas échouer.» Elle reste. Et découvre un pays bouleversant, humain, lumineux, qui devient un de ses lieux de cœur pour la vie. «Ce genre d’expérience vous fait découvrir les autres, mais surtout vous même.»
Très engagée, elle s’implique dans le volontariat de compétence, a siégé dans plusieurs conseils d’administration liés à la conservation ou à l’éducation, et rêve de lancer une fondation de mentoring couvrant tous les continents. «La transmission est essentielle. J’ai reçu, j’ai envie de redonner.» Pour elle, l’impact investing n’est pas une tendance, c’est un levier concret pour rééquilibrer le monde. «La finance peut orienter les flux vers ce qui compte vraiment.» Lorsqu’on la questionne sur la perte de vitesse actuelle du secteur, elle ne se démonte pas. «C’est normal. Toute transformation passe par une phase de scepticisme. Mais cela ne fait que renforcer ma conviction qu’il faut continuer. Après une phase de sélection naturelle, il y aura plus de clarté, de comparabilité et de traçabilité.» Sa citation préférée ? Une phrase d’Abraham Lincoln: It’s not the years in your life that count, it’s the life in your years. Et quelle vie. Pour illustrer le genre de personne qu’elle est fondamentalement, une anecdote finale résume parfaitement Kim-Andrée Potvin: à la fin de l’interview, elle m’a proposé qu’on se revoie. Pas pour parler d’elle, mais pour apprendre à me connaître, moi. Pour rétablir l’équilibre d’une nouvelle relation. C’est dire.

Propos recueillis par Sherif Mamdouh