L’invité: Chef Alain Verzeroli

Alain Verzeroli est le Directeur d’un des groupes de restauration les plus étoilés au monde. Pour COTE Magazine, le «jardinier de l’essentiel» revient sur une vie de saveurs qui passe par le Japon, l’art, le respect et la transmission.

Vous êtes directeur culinaire d’un des groupes alignant le plus grand nombre d’étoiles Michelin au monde: pouvez-vous nous présenter Bastion Collection?

Bastion Collection est un groupe international dédié à l’hospitalité, avec une forte identité culinaire. Chacun de nos huit restaurants, dont le Jardinier et l’Atelier de Joël Robuchon à Genève (The Woodward Auberge), est conçu en lien avec son environnement: pas de duplication, pas de standardisation. Notre approche vise à créer des expériences enracinées dans le terroir et portées par une vision gastronomique vivante.

Comment fait-on pour gérer tant d’étoiles et les garder ?

J’ai un emploi du temps chargé. Je voyage beaucoup: aujourd’hui New York, hier Miami, demain Houston, bientôt Genève. Je suis en lien permanent avec les chefs via appels, visioconférences, WhatsApp. On partage des photos, je donne des conseils. Le mentorship et la formation sont des piliers du groupe. Et j’ai la chance de travailler avec des chefs talentueux, stables et engagés. Les étoiles sont une reconnaissance, mais aussi une responsabilité. Il ne faut pas se reposer sur ses lauriers.

Vous avez longtemps travaillé aux côtés de Joël Robuchon. Comment construit-on sa propre identité en suivant un géant pareil ?

Travailler pour lui m’a offert un cadre structurant, mais pas enfermant. Il nous poussait à créer, à proposer. Certains de mes plats ont été diffusés dans ses restaurants. Ce n’était pas une prison dorée, mais une école d’exigence et de confiance. La plupart des chefs qui ont collaboré avec

lui ont aujourd’hui leur propre style. On a appris, puis on a su couper le cordon.

Vous incarnez une figure apaisée du chef, tout comme une Anne-Sophie Pic, loin de l’image caricaturale du chef tyrannique. Assiste-t-on à un changement de culture ? Le chef caractériel est-il en passe de disparaitre ?

Je crois que oui. J’ai connu cette autre époque et je me suis promis d’être différent. Dans une cuisine, il faut de l’exigence, de la rigueur, mais on peut y parvenir dans le respect. Si vous avez eu une éducation dure, vous pouvez soit la reproduire, soit faire autrement. J’ai toujours privilégié la bienveillance et mes 18 années passées au Japon m’ont aidé à développer cette approche. Là-bas, beaucoup se dit sans être dit. Il faut lire les gestes et les silences. Cela développe l’observation et l’humilité.

À quel point le Alain Verzeroli qui arrive au Japon et celui qui en ressort sont-ils différents ?

Le Japon m’a changé. Le respect est transversal dans leur culture: respect du produit, des gens, du temps. La cuisine japonaise est minimaliste mais d’une précision extrême. Là-bas, on apprend toute sa vie. Ils valorisent le chemin plus que le résultat. En Europe, on valorise souvent la vitesse. Au Japon, on valorise la qualité et l’introspection. Cette philosophie m’anime encore aujourd’hui, dans ma cuisine comme dans ma vie.

Comment est-ce que vous gérez ce décalage avec d’autres cultures, notamment les États-Unis ?

Je ne cherche pas à opposer. J’essaie d’infuser ces valeurs là où je suis. Sans juger. Je veux lisser les différences, trouver des ponts. Cela passe par la façon d’aborder un produit, de le découper, de l’assaisonner.

La clientèle romande a-t-elle des attentes particulières ?

Oui, elle est très internationale, mais aussi très attentive à son terroir. Elle aime découvrir les produits locaux, les vins, les poissons de lac, les fromages suisses. Olivier Jean et moi collaborons avec des producteurs régionaux: du riz de Lully, des œufs du Lignon, il y a même du safran genevois! Ce lien avec le territoire est fort et précieux.

En quoi les liens entre art et gastronomie sont-ils pour vous une inspiration ?

J’adore l’art, je collectionne un peu et je suis photographe amateur. Quand nous avons ouvert Le Jardinier au Museum of Fine Arts de Houston, j’ai eu envie de créer un lien entre le restaurant et les expositions. Nous avons lancé Culinary Canvas: à chaque exposition, on crée plats, cocktails, desserts inspirés de l’artiste. Kusama, Lempicka, Turrell… ça stimule notre créativité. Mais la nature reste la plus belle source d’inspiration. Chaque saison a sa palette, son énergie, ses produits. C’est infini.

Je serais curieux de vous entendre sur le lien entre saisonnalité et besoins du corps…

C’est une excellente remarque. Au Japon, on célèbre le cycle de la nature. Les sakuras en fleurs, les feuilles d’automne… Même la vaisselle change selon les saisons. La cuisine japonaise rappelle la saisonnalité jusque dans les présentations. Quand je suis arrivé à New York, j’ai été frappé de voir que le végétal était souvent relégué au second plan, toujours identique toute l’année. Avec Le Jardinier, j’ai voulu remettre la nature au centre. Créer une assiette où les légumes de saison ont le rôle principal, avec une protéine autour, parfois aucune. Il y a une logique naturelle. Ce que la terre nous donne au bon moment est souvent ce dont nous avons besoin. J’ai depuis introduit ce concept au Jardinier, au sein de l’hôtel The Woodward, Auberge Resorts Collection sur les rives du lac Léman. C’est la notion de shun, en japonais, qui désigne l’instant précis où un ingrédient atteint son apogée. Au cœur de la saison de l’asperge blanche, il y a quelques jours où elle est parfaite. Ce concept m’a marqué. En Europe, on parle de saisonnalité de façon plus vague. Shun invite à capter le moment exact.

Comment la gastronomie évolue-t elle ?

Elle évolue avec les goûts, les techniques et la société. Aujourd’hui, on mange plus sainement. Les producteurs vont vers le bio, l’organique. Une glace d’il y a 30 ans contenait deux fois plus de sucre. On est plus à l’écoute de notre équilibre. On revient au vrai. Il y a eu des modes, comme la cuisine moléculaire, mais aujourd’hui on veut du sens, de l’origine, du respect. Et cette prise de conscience est mondiale.

Propos recueillis par John Hartung

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