Depuis un an, Richemont écrit une partition singulière, portée par un homme qui incarne la discrétion des bâtisseurs. Nicolas Bos n’est pas seulement le nouveau visage du groupe: il en est devenu le révélateur. Celui qui fait émerger un paradigme inédit, au moment où l’industrie ralentit. Chez Van Cleef & Arpels, qu’il a conduit au rang de référence absolue, il n’a jamais cédé à la tentation du grandiloquent. Son talent ? Orchestrer la croissance sans trahir la poésie. Faire coexister la performance et la pureté d’intention. Sa nomination au poste de Directeur Général n’est pas un simple jeu de succession. Elle marque le basculement stratégique d’un conglomérat dont 72 % des profits proviennent désormais de la joaillerie. Cartier, Van Cleef & Arpels, Buccellati: un triptyque qui concentre plus de 15 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel et une marge supérieure à 30 %. Une suprématie assumée, qui interroge: comment préserver la rareté lorsque le volume devient une contrainte ? Comment conserver la verticalité créative tout en élargissant le socle client ?
Nicolas Bos apporte un style qui n’est pas celui d’un conquérant impatient. C’est une méthode presque artisanale, qui tranche avec l’agitation concurrente: reconnecter chaque Maison à sa singularité. Son parcours l’a forgé à un principe rare : la création n’est pas un levier de conquête, mais un langage. C’est ce langage qu’il infuse aujourd’hui au cœur du groupe, sans renier la discipline opérationnelle qui a permis à Richemont de stabiliser ses résultats (+4 % en 2024, malgré le repli chinois). Un pragmatisme lucide, au moment où l’horlogerie traverse un cycle de fragilité historique. Avec un recul de -13 % et des marges divisées par trois, la division révèle une double tension: l’exposition excessive à l’Asie et la lenteur des transformations produit. Là où d’autres verrouillent la créativité, Bos choisit la confiance: renforcer les identités et le savoir-faire.

Courtesy of Buccellati

Panthère watch, Cartier

Nicolas Bos, pictured during an interview
about his arrival as Executive Director on the Richemont Board, in 2017
Cartier, plus que jamais, incarne cette ambition: rappeler que l’exception ne se décrète pas, elle se cultive. La Maison, fondée en 1847 par Louis-François Cartier et façonnée par Jeanne Toussaint, reste un cas d’école. Comment préserver son pouvoir d’attraction ? En ralentissant le temps. En créant moins. En existant plus. Dans cette économie de la saturation, la rareté est devenue un art délicat. Cartier en maîtrise les codes comme peu d’acteurs, portant un luxe qui fait de l’héritage assumé la plus belle des modernités.
Au fond, l’ère Bos se définit par un retour à l’essentiel: considérer que le luxe n’est pas une course à la performance trimestrielle, mais un territoire vivant où l’émotion précède le chiffre. Dès ses premiers mois, il a élargi la gouvernance, intégré Louis Ferla et Catherine Rénier, redonné à Jérôme Lambert sa latitude opérationnelle chez Jaeger-LeCoultre. Un triumvirat expérimenté qui incarne la mémoire des ateliers et l’expertise des marchés.

Vintage Alhambra bracelet, Van Cleef & Arpels

Eternelle Band, Buccellati

Dans cet écosystème, le choix d’Emmanuel Perrin traduit ce même fil rouge chez Panerai, une Maison emblématique d’un segment en tension. Il incarne une expertise historique de la distribution (il a piloté le réseau Cartier plus de dix ans) mais aussi une sensibilité à l’expérience client. Dans un monde où la vente directe, qui pèse aujourd’hui 76 % des transactions horlogères, redéfinit les repères, Richemont avance avec cohérence. Comme si le groupe assumait ce dilemme: continuer à explorer l’horlogerie, sans renier la suprématie de la joaillerie. Parier sur la profondeur des récits plutôt que sur l’ivresse des volumes. Retail physique, digital, narration: tout converge vers un luxe plus lisible, plus intime, plus durable. Certains diront que Richemont prend des risques en assumant ce recentrage sur la création. Que l’horlogerie fragilisée pourrait peser durablement. Mais dans un contexte de décélération mondiale, revendiquer la patience n’est pas un pari naïf: c’est une conviction. Celle qui distingue un groupe capable de traverser les cycles de ceux qui s’y consument.
Demain, la croissance sera peut-être moins spectaculaire. Mais elle sera plus alignée avec l’ADN des Maisons. Et quand on mesure l’aura intacte de Cartier, façonnée par près de deux siècles de création, on comprend qu’aucune promesse n’est plus précieuse qu’un luxe qui embrasse le temps long.