André Manoukian, un artiste inspiré

  • Propos recueillis par Françoise Garnier

On ne présente plus ce pianiste d’origine arméno-cosmique qui aime partager ses enthousiasmes… Pour COTE Magazine, il raconte ses élans et ses coups de coeur.

Pourquoi cosmique?
On dit de moi que c’est mon côté lunaire et perché. Mais au fond, tout musicien se doit d’être un peu cosmique. A la base, l’étymologie du mot Cosmos (Kosmos) c’est l’ordre, opposé au Chaos (Kaos). Celui qui était chargé de transformer le Kaos en Kosmos, c’était Orphée, un musicien. Le mot cosmique m’est cher en tant que musicien et que Chamoniard, en référence à l’arête des Cosmiques où on avait installé un refuge dans les années 30, qui était un observatoire des rayons cosmiques. Lorsque je me suis installé dans cette vallée il était au fond naturel que j’intitule le Festival de Jazz que j’ai créé Cosmojazz, le Jazz cosmique.

Vous résumer en tant que musicien et conteur, cela vous convient-il?
C’est parfait! En tant que musicien, je raconte une histoire en musique. Une mélodie, c’est un récit qui doit avoir un début et une fin. Pour captiver les gens et les intéresser à la musique, nous devons leur raconter des histoires, souvent vraies. J’affectionne particulièrement le jazz, qui est pour moi la musique la plus touchante qui soit.

J’ai envie de transmettre et de mieux faire connaître cette musique que j’aime tant. J’essaie de la faire avec deux armes, la mélodie pour toucher le cœur des gens et puis en expliquant et en transmettant. J’aime partager mes enthousiasmes.

Se faire comprendre, c’est une histoire de survie pour les peuples opprimés et toutes les minorités qui vivent dans des milieux hostiles. Quand on évolue dans un univers de variétés, que ce soit à la TV ou la radio, on ne peut pas être excluant, comme quand on parle un langage savant. Il faut savoir parler la langue de «l’autre», sans le prendre pour un ignorant. C’est pourquoi je m’attache parfois à partager des choses assez pointues, et si je le fais bien, je sais que je vais toucher les gens avec des artistes qui pourraient sembler d’un abord difficile mais qui en fait ne le sont pas du tout.

Vos sources d’inspiration?
La beauté de la nature en est une grande. C’est mon rêve de la célébrer en musique. Ce faisant, je perpétue le geste ancien des shamans ou des tribus premières qui s’adressaient aux esprits par les instruments de musique. Le sorcier dans les sociétés primitives, c’est le musicien. Avec son instrument, il parle aux esprits. C’est l’intercesseur entre le monde spirituel et le monde des hommes. Je ne fais au fond que reproduire un vieux geste archétypal. Il n‘y a rien de plus beau que de célébrer la beauté de la nature en musique. La musique créé un passage, une émotion pour que l’on puisse se fondre plus encore dans la nature.

Mon père qui était un grand marcheur m’a transmis trois valeurs: la philosophie, la musique et la randonnée. En marchant, on pense mieux car les idées se libèrent souvent avec le mouvement. Marcher et retrouver son chemin sont un apprentissage.

Anouch, votre prochain album?
Je l’ai composé en hommage à ma grand-mère qui était aussi une randonneuse: 1’000 km des bords de la Mer Noire en Turquie jusqu’au désert de Syrie. Une femme admirable. Son histoire est un roman familial qui a survécu aux persécutions. Lui rendre hommage c’est aussi célébrer la musique de mes ancêtres arméniens.

Au-delà des traditions, Anouch est un état d’être, de mélancolie heureuse. On dit que la musique est l’âme des peuples. Exprimer les particularités ethniques en musique, c’est formidable car la musique est un langage universel. Anouch est aussi un récit musical dont les combinaisons sont infinies. En Orient, la musique a quelque chose de commun avec le jazz où l’on improvise beaucoup et où la tristesse se mêle à la joie. Une forme de mélancolie heureuse comme on peut en trouver dans le blues. La musique orientale est une musique très sentimentale. Le principe de la musique, c’est justement de provoquer des sentiments.

Le théâtre?
Seul sur scène avec mon spectacle «Les notes qui s’aiment», je raconte l’histoire de la musique comme on ne la connaît pas au travers de mon amour des voix et de leur mystère, et du thème de l’improvisation. Auparavant, on enseignait l’improvisation aux enfants. Tous les grands compositeurs classiques étaient des grands improvisateurs. A la fin du 19ème on a cessé d’apprendre l’improvisation. Ce qui est complètement stupide. Un interprète classique qui joue Mozart, Chopin ou Rachmaninov ne sait pas improviser sur «Au clair de la lune» alors que les compositeurs qu’ils interprètent eux, savaient le faire. C’est un gros sujet pour moi et j’essaie de l’illustrer au piano.

Votre mot de la fin?
Cette question m’en inspire une autre sur le «questionnement» qui permet de rester curieux toute sa vie, de rester jeune, humble. Chez moi, la question est innée, elle fait partie des échanges et fait avancer.

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