L’un des souliers les plus iconiques de l’histoire de la mode est sans doute la Slingback de Chanel, une chaussure bicolore à bride, créée à l’origine en chevreau beige et noir, lancée en 1957 par Gabrielle Chanel. Cet accessoire versatile, qui accompagne la femme qui les porte du matin au soir, est entré dans les garde-robes il y a 67 ans pour ne plus en sortir.
- Par Isabelle Cerboneschi
L’histoire de la mode est émaillée de pièces incontournables et inoubliables. Mais pour qu’elles atteignent le statut d’icône, encore faut-il qu’elles traversent les années, épousent les besoins de chaque époque et continuent à être désirées des décennies après leur création. C’est le cas de la Slingback de Chanel.
Ce soulier bicolore, doté d’une bride, a vu le jour en 1957. Dans les années 50, il était commun de voir les hommes porter des chaussures arborant deux couleurs différentes.
Mais les usages du moment préconisaient que les femmes portent des chaussures d’une seule teinte, assorties à leurs tenues. Qu’à cela ne tienne: Gabrielle Chanel n’a jamais eu à suivre les règles car elle a inventé les siennes. Par ailleurs, elle a toujours su s’inspirer du vestiaire masculin pour l‘adapter à elle-même pour commencer et à ses clientes, pour finir.
Quelques semaines avant son défilé, la couturière alors âgée de 74 ans, commande à Raymond Massaro, petit-fils du fondateur de son bottier attitré (une entreprise fondée en 1894) de créer une chaussure bicolore beige avec un bout noir. Le beige a l’avantage d’allonger la jambe et l’extrémité sombre donne l’illusion que le pied est plus court. Aux yeux de Gabrielle Chanel la Slingback est ce qu’elle appelle « le dernier point de l’élégance. »
On doit à Coco Chanel de nombreux objets iconiques: le tailleur en tweed gansé avec ses boutons bijoux et sa chaîne cousue au niveau de l’ourlet pour lui donner du maintien et le sac matelassé 2.55, né deux ans auparavant en février 1955, d’où son nom.
Avec la Slingback, elle a mis un point final à une silhouette reconnaissable entre toutes. Cet accessoire versatile se porte toute la journée et dans toutes les circonstances. “On part le matin avec une beige et noir, on déjeune avec la beige et noir, on va à un cocktail avec la beige et noir. On est habillée du matin au soir ! », affirmait-elle.
Littéralement, « Slingback » signifie « une chaussure à bride ouverte à l’arrière ». Le bottier Massaro a conçu cette sandale asymétrique dont la bride, qui passe derrière la cheville, ne maintient que le côté extérieur du pied afin qu’elle procure une aisance à celle qui les porte et facilite sa marche. Parce qu’elle doit accompagner la femme dans toutes ses activités, la Slingback possède un talon de 5 cm de haut. Gabrielle Chanel avait également décidé de faire usage du chevreau noir à l’extrémité du soulier afin d’en protéger la pointe des intempéries et des injures de la rue.
A peine lancée, la chaussure devient un hit et séduit bon nombre de femmes, dont les actrices Romy Schneider, Catherine Deneuve, Delphine Seyrig, Brigitte Bardot, Jeanne Moreau ou Jane Fonda, qui ne les quittent plus. Gabrielle Chanel ne pouvait rêver meilleures ambassadrices. La presse de l’époque baptise la Slingback « la nouvelle pantoufle de Cendrillon ».
Peu à peu, la couturière introduit de nouvelles harmonies de couleur et le beige s’acoquine avec le marine, le marron ou encore le doré. La forme également a évolué au fil du temps: le bout s’affine, devient plus pointu, ou plus carré, en fonction des tendances du moment. « Avec quatre paires de chaussures, je peux faire le tour du monde », disait Gabrielle Chanel.
Lorsque Karl Lagerfeld fut nommé directeur artistique de Chanel en 1983, il n’a cessé de réinventer la sandale bicolore, la déclinant dès 1986 en ballerines, devenues elles aussi des icônes, en bottes, en sandales, en cuissardes, en espadrilles, en derbies, en baskets,… Il l’habille d’une infinité de matières: du tweed bien sûr mais aussi de la dentelle, du cuir vernis, matelassé ou irisé, du veau velours, du satin et même du denim, allant jusqu’à créer un talon en cristal de roche. Mais il a fallu attendre le défilé Prêt-à-Porter Automne-Hiver 2015/2016, pour qu’il leur donne l’un des rôles principaux et en fasse le soulier le plus désirable du moment.
Après avoir légèrement redessiné le modèle et arrondi le bout, Karl Lagerfeld en a chaussé tous les mannequins du défilé. Il a démontré que les Slingbacks pouvaient se porter insolemment avec une paire de jeans comme avec un tailleur en tweed ou une robe du soir. Cet hommage à la célèbre chaussure s’est accompagné de quatre courtes vidéos intitulées « The Slingback Stories » ou comment porter les souliers bicolores de Chanel. Karl Lagerfeld la considérait comme « La plus moderne des chaussures Chanel » et en à peine une saison, il en a fait une « It shoe » plébiscitée par les femmes de tous âges et de toutes origines.
La rançon du succès ne s’est pas faite attendre: elles ont été copiées par toutes les marques, qu’elles soient petites ou grandes, mais elles restent inégalées du fait de leurs proportions parfaites et de l’élégance de chaque détail.
Les Slingbacks sont fabriquées chez Roveda, l’un des plus célèbres et des plus grands ateliers de production artisanale de souliers d’Italie, situé à quelques kilomètres de Milan et qui appartient à Chanel depuis 2000. Les femmes qui aiment le confort extrême et qui ont les moyens de se l’offrir, peuvent toujours se faire fabriquer une paire sur mesure chez Massaro, qui rejoint les Métiers d’Art de Chanel en 2002. Une élégance qui a son prix: chaque pièce, fabriquée à la main, est unique.
Les Slingbacks sont devenues des incontournables des garde-robes, prisées pour leur versatilité et leur confort. Virginie Viard, la directrice artistique de Chanel depuis 2019, continue de les réinventer à l’envi, dans des couleurs et des matériaux qui évoluent selon les saisons. « La mode se démode, le style, jamais », affirmait Gabrielle Chanel.