Figure incontournable du paysage horloger, François-Paul Journe nous a ouvert les portes de sa Manufacture à Genève. Dans ce cabinet de curiosité, objets rares et anciens côtoient des complications qui révolutionnent l’horlogerie du 21e siècle.
Quelle est votre complication favorite ?
«Il m’est impossible de choisir, car c’est ma favorite à chaque fois. Chaque nouvelle complication représente un défi, je dirais donc que ma préférée c’est celle sur laquelle je travaille en ce moment et qui me tracasse !
Parmi mes dernières grandes réalisations, l’Astronomic Souveraine et la FFC ont été extrêmement complexes à concevoir, notamment parce qu’il a fallu conserver une grande simplicité d’utilisation. A mes yeux, les montres sont des jouets pour adultes et doivent pouvoir être utilisées facilement.»
Parmi les prix que vous avez reçus, lequel vous rend le plus fier?
«J’ai ressenti une grande fierté lorsque j’ai reçu ma première Aiguille d’Or au Grand Prix d’Horlogerie de Genève. J’ai ensuite cessé de participer à ce type de concours, car ils ne mettent selon moi plus suffisamment en valeur le travail des horlogers en compétition. Il y a beaucoup de participants, hélas trop peu d’élus.»
Qu’est-ce qui vous inspire? Y a-t-il un point commun à tous vos modèles?
«J’essaie d’apporter quelque chose de plus par rapport à l’histoire. Je ne réinvente pas l’horlogerie, mais j’essaie toujours de remettre un petit quelque chose en plus qui n’existait pas. Grâce aux moyens techniques actuels, nous pouvons réaliser ce qui était impossible au 18e siècle. La miniaturisation des composants a par exemple permis d’intégrer des mécanismes très complexes dans ce volume de 3 à 4 cm3 qu’est un boîtier.
Mon inspiration vient de multiples sources, souvent lors de conversations avec des amis. Lors de visites dans les musées horlogers aussi. J’aimerais d’ailleurs beaucoup en visiter certains en Autriche ou en Allemagne. L’horloge de Dresde figure dans mon top 3 des créations que je dois encore aller voir !»
Quels mentors ont influencé vos créations ?
«Les horlogers du 18e siècle m’inspirent profondément, car ils ont révolutionné la mesure du temps. J’ai débuté en travaillant sur des créations anciennes, ce qui m’a permis de découvrir et de comprendre ce savoir-faire traditionnel. Les réalisations n’étaient pas toujours dictées par la rationalité comme dans la production industrielle moderne, et chaque pièce était dessinée et façonnée avec un soin extrême parce qu’elles étaient des objets plus importants qu’aujourd’hui. Les motivations pour la recherche et l’exploration étaient très fortes, notamment dans des domaines clés comme la marine.
J’ai commencé à m’intéresser à l’horlogerie en réparant des objets anciens dans l’atelier de mon oncle. L’idée de créer ma première montre m’est venue grâce à l’influence d’un horloger en particulier, George Daniels. Son meilleur client, Cecil Clutton, venait régulièrement à l’atelier et portait toujours une montre de Daniels. J’étais fasciné par ce chef-d’œuvre d’horlogerie, et cela a véritablement marqué mon parcours.»
Qu’est-ce qui vous a conduit à passer de la création de pièces uniques à la production de montres en petites séries?
«La demande a joué un rôle clé. Jusqu’en 1994, je ne faisais que des montres sur mesure. Mais en portant l’une de mes créations au poignet, j’ai commencé à susciter l’intérêt des autres. En 1999, j’ai lancé ma marque, et en 2000, j’ai ouvert la Manufacture à Genève. Là, je suis entouré d’objets qui m’inspirent, et je peux maintenir une production à taille humaine.
J’ai également laissé suffisamment d’éléments pour que mes successeurs puissent faire vivre la marque longtemps. Aujourd’hui, avec 13 références, je suis convaincu que ces modèles pourront perdurer encore pendant quarante ans. Le défi à venir sera de former la relève, car certains horlogers de l’atelier approchent de la retraite.»
Quel est le profil du collectionneur de montres F.P.Journe?
«Il est discret, c’est un passionné qui achète pour son propre plaisir. Il est cultivé, attaché à l’histoire de la marque et à celle de l’horlogerie en
général.»
Comment percevez-vous l’arrivée de la nouvelle génération de collectionneurs dans le monde de l’horlogerie et comment répondez-vous à leurs attentes?
«Une nouvelle génération de collectionneurs éclairés prend le relais aujourd’hui. Je suis convaincu que cette passion pour le temps perdurera, l’horlogerie possédant une longue histoire de 600 ans ! Elle a survécu au quartz et aux téléphones portables, et paradoxalement, les jeunes générations, nées dans un monde numérique, sont sensibles aux objets classiques.
Quant aux attentes, je ne cherche pas à y répondre directement. Je crée avant tout ce qui me plaît.»