La Saharienne, icône de la mode depuis 1967

Par Isabelle Cerbonesci

Le premier look du défilé Saint Laurent printemps/été 2024 qui s’est tenu le 26 septembre dernier, a donné le ton : beige. Une teinte qui s’est ensuite déclinée dans toutes les couleurs du désert : kaki, ocre, terre de Sienne, marron glacé, bois, faux et vrai noir.

Quant à la forme, elle aussi avait valeur de symbole : « Numéro un, number one. Combinaison saharienne en gabardine de coton dune ». C’est la voix de Catherine Deneuve qui a annoncé le premier passage. Ce qu’il fallait surtout entendre, c’était ce mot « saharienne », car c’était elle la star du défilé.

Le message donné par Anthony Vaccarello tout au long de ce défilé était très clair. Il a choisi de revenir aux fondamentaux de la marque et à une pièce fondatrice en particulier : la saharienne qu’Yves Saint Laurent avait présentée pour la première fois en 1967 dans sa collection Bambara. Le directeur artistique l’a épurée à l’extrême, revenant au modèle d’origine, sans le fameux laçage croisé qui a fait son succès.

Il n’a gardé que l’essentiel : les poches plates, et la forme simple, ample, fluide, ultra chic – tout ce à quoi on aspire en des périodes troublées. Anthony Vaccarello a décliné l’esprit de ce vêtement sous toutes ses formes possibles : en robes-chemises, en pantalons, en chemisiers, en jupes crayon, en tuniques, en trench… Seules trois robes longues de mousseline d’une grande pureté ont marqué le passage du jour à la nuit.

Ce n’est pas la première fois que le directeur artistique se penche sur cette pièce iconique qui a marqué l’histoire de la mode. En 2021, pour sa collection printemps-été, il en avait proposé plusieurs variantes, mais jamais auparavant ne lui avait-il dédié une collection entière. Il s’agit d’un hommage à un homme et à une époque, comme si Anthony Vaccarello avait décidé d’écrire un nouveau chapitre dont il faudrait chercher les origines en 1967.

Pour créer sa collection printemps-été, Yves Saint Laurent s’était inspiré de l’Afrique. Il avait créé une série de robes qui faisaient appel aux grands artisans d’art, le brodeur Lesage, notamment. Elles étaient fabriquées avec des matériaux traditionnels, comme des perles de bois, du raphia, de la paille, des plumes ou encore du fil d’or. Il a baptisé cette collection « Bambara », du nom d’une communauté du Mali, dont les statues féminines sont caractérisées par des corps très longs et des seins pointus.

Bien avant Jean-Paul Gaultier, Yves Saint Laurent a lancé sur le podium des mannequins avec des seins en pointe. Et parmi les différentes créations sophistiquées, est apparue une simple saharienne en toile beige avec deux poches plaquées à l’avant. Un vêtement qui évoquait à la fois l’Afrique (continent d’origine du couturier) et le vestiaire masculin ; des constantes dans les collections d’Yves Saint Laurent.

Il faut se souvenir qu‘Yves Saint Laurent est né et a passé son enfance à Oran. Le continent africain est le sien et, bien que sa famille fût contrainte à l’exil, il gardera toujours à la fois un amour et une fascination pour l’Afrique, au point d’acheter en 1980 le Jardin de Majorelle – sa fameuse villa de Marrakech rebaptisée Oasis – avec son compagnon Pierre Bergé.

Mais revenons à la saharienne. Ce vêtement fera véritablement sa révolution l’année suivante, en 1968. Sollicité par le magazine Vogue, Yves Saint Laurent a créé une version plus sexy de son premier modèle, lui offrant un décolleté plongeant, retenu uniquement par un laçage croisé. C’est le mannequin Veruschka, de son vrai nom „la Comtesse Vera Anna Gottliebe Gräfin von Lehndorff“, qui la porte et l’immortalise. Sur son corps parfait, la saharienne est savamment ouverte, laissant deviner la naissance de ses seins. Photographiée par Franco Rubartelli en République Centrafricaine, Veruschka tient sur ses épaules un fusil, comme si elle revenait d’un safari, et porte une dague à la hanche, accrochée à sa ceinture à anneaux, ainsi qu’une immense capeline.

Cette photo, parue dans le numéro de Vogue de juillet-août 1968, est rapidement devenue culte, et la saharienne, vendue en version lacée dans la boutique Rive Gauche, s’est imposée comme un hit. Elle dévoilait à la fois tout son potentiel de séduction, tout en s’inscrivant parfaitement dans le mouvement d’émancipation des femmes, en marche à l’époque.

Une autre image a immortalisé le modèle. On y voit Yves Saint Laurent et ses deux muses, Betty Catroux et Loulou de la Falaise, lors de l’ouverture de la boutique Rive Gauche de Londres en 1969. Tous les trois portent une version de la saharienne : le couturier la porte en tunique boutonnée avec une ceinture à laquelle il a accroché une paire de lunettes de soleil, Loulou de la Falaise en version blouson sur une jupe midi, et Betty Catroux en mini robe lacée et ceinturée avec d’immenses cuissardes noires. Cette photo résume parfaitement la versatilité de ce vêtement.

Betty Catroux, reine de la saharienne Yves Saint Laurent, et son mari François.

Des origines militaires

Avant d’être adoubée et d’entrer dans le monde de la mode, la saharienne a eu une vie beaucoup moins glamour. Ce vêtement en gabardine de coton était l’uniforme officiel de l’armée britannique en Inde à la fin du XIXe siècle. Du fait de sa légèreté, les Occidentaux vivant en Afrique dans les années 1930 l’avaient aussi adoptée. Elle s’appelait alors la « veste safari » ou encore « bush Jacket ». Ernest Hemingway l’a popularisée en la portant lors de safaris en Afrique australe.

C‘est la Seconde Guerre mondiale qui lui donnera son nom, quand le Sahara est devenu le sombre théâtre de combats et qu’elle fut adoptée par le Deutsches Afrikakorps (les divisions blindées allemandes basées en Afrique du Nord). Avec ses épaulettes, sa ceinture et ses poches plaquées, elle était taillée pour les militaires et les aventuriers.

En 1953, elle passe sur grand écran et perd sa connotation militaire. On la voit dans le film Mogambo, tourné au Kenya, tandis qu’elle est portée par la sublime actrice Grace Kelly. Elle aura une jolie carrière cinématographique et on la croisera dans Rambo, Serpico, Taxi Driver ou encore Annie Hall, sur les épaules de Diane Keaton.

Mais celui qui lui a offert son plus beau rôle, c’est définitivement Yves Saint Laurent : il lui a permis d’entrer dans les garde-robes des femmes et dans les plus belles pages de l’histoire de la mode.

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