Notre rencontre avec Nicolas Bos, Président et CEO de Van Cleef & Arpels

  • Par Isabelle Cerboneschi

L’année 2022 est un millésime particulièrement précieux pour la maison Van Cleef & Arpels, qu’il s’agisse d’horlogerie ou de joaillerie. Lors du salon Watches & Wonders qui s’est tenu du 30 mars au 5 avril 2022 à Genève, la maison a présenté des montres d’une poésie folle où l’heure se lisait avec des fleurs ainsi que des automates qui avaient le pouvoir de transporter l’esprit dans un univers de savoir-faire et de beauté.

Quelques mois plus tard, en juillet à Paris, Van Cleef & Arpels a présenté une collection de haute joaillerie unique: Legend of Diamonds – 25 Mystery Set Jewels. Celle-ci a été conçue autour d’un diamant brut de 910 carats -le Lesotho Legend- découvert en janvier 2018 dans la mine de Letseng, au Lesotho. La collection, qui compte 25 pièces, met en valeur à la fois des pierres exceptionnelles et l’un des savoir-faire emblématiques de la maison: le serti mystérieux, une technique de sertissage brevetée en 1933.

Cela fait bientôt dix ans que Nicolas Bos a été nommé président et CEO de Van Cleef & Arpels. Il a initié la création de l’Ecole des arts Joailliers, qui a redonné une visibilité aux métiers de la joaillerie, et n’a cessé de promouvoir les métiers rares ainsi que tous les savoir-faire.

La collection Legends of Diamond est-elle l’expression de tout ce que représente Van Cleef & Arpels?
J’espère que chaque collection est l’expression de tout ce que représente Van Cleef & Arpels. Certaines ont une dimension plus narrative que d’autres. Celle-ci est plus statuaire. Il y est question d’expertise, depuis la pierre jusqu’aux différents savoir-faire.

Pour la réaliser, nous avons utilisé l’une des techniques les plus complexes qui soit: le serti mystérieux. Les bijoux sont transformables, les pierres sont prestigieuses, le diamant brut, d’une qualité irréprochable possède une origine extraordinaire: avec cette collection, nous sommes au cœur de notre métier.

Peut-on dire que la collection qui découle de ce diamant rare, le Lesotho Legend, s’inscrit dans une dimension historique?
Le premier projet que nous avons lancé après avoir créé l’Ecole des Arts Joailliers était un travail de recherche autour des diamants que Jean-Baptiste Tavernier avait achetés pour Louis XIV. En toute humilité, cette collection s’inscrit dans cette tradition-là, avec cette grande pierre historique.

En réalisant un tel projet, nous espérions néanmoins que les discussions ne tournent pas uniquement autour de la taille, du poids, du prix au carat et du record gemmologique, au détriment du travail de joaillerie. Nous ne sommes pas des diamantaires, nous sommes des joailliers. La pierre n’est pas une fin en soi: elle est l’un des composants et la source d’inspiration de ce projet créatif et technique.

Chaque maison peut être qualifiée par des mots clefs. Quand on pense à Van Cleef & Arpels, on songe à « poésie », à « artisanat d’art », à « transmission ». Que vous évoquent ces mots et quels qualificatifs aimeriez-vous ajouter?
Ils sont très justes et font partie de notre univers et notre quotidien. La création et la transmission sont indissociables de notre histoire. La poésie et l’enchantement sont essentiels: ils font appel au monde de l’enfance, à l’imaginaire, aux inspirations littéraires et artistiques qui sous- tendent nos créations.

Quant à l’Artisanat d’art et le savoir-faire, ils sont au centre de notre travail. Nous ne sommes pas une marque globale, nous ne cherchons pas la visibilité à tout prix mais à créer les pièces les plus justes possible.

Lors du salon Watches & Wonders, à Genève, en avril dernier, vous avez présenté l’automate «La Fontaine aux oiseaux». Au delà de sa poésie, cet objet était une somme de métiers d’art très disparates. Quel fut le plus grand défi de cette pièce?
La combinaison et la coordination de tous ces savoirs et ces métiers, justement. Cet objet est une sorte de chef d’oeuvre, tel qu’on en trouve dans la tradition du compagnonnage.

Quand on lance un projet comme celui-là, on ne sait pas si l’on va y arriver. Le fait de combiner et d’associer physiquement sur un même objet des techniques très diverses qui ne s’allient pas souvent ensemble est un challenge en soi et c’est ce que fut le plus compliqué. Le but était de créer un objet homogène et pas une accumulation de métiers et de savoir-faire. Mais pour y parvenir, il fallait orchestrer tous ces métiers.

Je vais vous donner un exemple concret: les automatiers travaillent avec des matériaux très légers car il est extrêmement difficile de concevoir ces mécanismes, de les animer et de les fiabiliser. Mais lorsque l’on veut animer des objets joailliers en métal, en or, en pierres, qui pèsent lourd, nous rajoutons des niveaux de difficultés supplémentaires. Les joailliers ont dû adapter leur travail pour réaliser un objet destiné à être en mouvement, ce qui n’est pas la tradition, et les automatiers ont dû adapter leurs mécanismes afin de faire bouger des objets particulièrement lourds.

Dans les années 80-90, la formation dans le domaine des métiers d’art faisait défaut. Les maisons manquaient d’artisans et certaines traditions artisanales se sont perdues. Que s’est-il passé entre temps pour que la tendance s’inverse? Est-ce que l’école a favorisé le désir des jeunes générations pour ces métiers?
Dans les années 80-90, la joaillerie était un secteur très traditionnel qui vivait sur son inertie. Une nouvelle dynamique est apparue dans les années 2000, avec d’anciens acteurs -dont nous faisons partie- qui se sont développés et l’arrivée de nouveaux acteurs, de nouveaux clients, d’une nouvelle géographie,… Ces métiers avaient été dévalorisés or un travail formidable a été accompli à la fois par les maisons, les écoles, les fabricants. Des structures de formation qualitatives ont émergé. Nous avons trouvé les moyens de revaloriser ces métiers et de créer l’envie.

La question n’est pas seulement d’avoir de bonnes écoles, mais aussi de les peupler d’étudiants motivés qui ne veulent pas devenir artisans parce qu’ils sont en échec scolaire mais parce qu’ils trouvent cela extraordinaire. Il nous est arrivé de découvrir que des élèves avaient choisi d’entrer dans des écoles de joaillerie parce qu’ils avaient découvert le métier lors d’un cours pour enfants ou lors d’une exposition à l’Ecole des Arts Joailliers 10 ans plus tôt.

A notre échelle, nous contribuons à rendre ces métiers visibles. Trouver, former, recruter des artisans aujourd’hui est moins une source d’angoisse qu’il y a 10 ou 15 ans, mais il reste encore des choses à faire.

Fontaine aux Oiseaux

A l’occasion de la première édition de l’exposition « De Mains en mains » que vous avez présentée en décembre 2021 à Lyon, vous avez mis au point un parcours qui s’adressait aussi aux plus jeunes. Etait-ce pour susciter des vocations?
Exactement! Nous voulions rendre attractif ces métiers, non seulement pour la beauté du geste mais parce qu’il s’agit d’un avenir possible pour de jeunes gens. Nous avons choisi de faire cette exposition à Lyon car il s’agit d’un bassin historique de bijouterie et joaillerie.

Avec le rectorat, nous avons identifié un collège situé à Vénissieux, une banlieue de Lyon, afin d’exposer les élèves à ces métiers de manière très concrète. Nous leur avons donné la possibilité de les expérimenter avec un dessinateur, un polisseur, un joaillier, un opérateur de Conception assistée par Ordinateur (CAO). Et ceux-ci leur expliquaient leur parcours, leur quotidien, combien ils gagnent, quelles sont les perspectives, toutes les questions que peuvent se poser ces jeunes lorsqu’ils s’agit de se choisir un avenir.

Quelques uns ont marqué un vrai intérêt pour ces métiers dont ils ne connaissaient pas l’existence ou sur lesquels ils avaient des croyances, pensant qu’ils n’étaient pas adaptés à eux. C’était une belle initiative que nous allons essayer de développer.

Van Cleef & Arpels a inventé dès ses débuts des techniques révolutionnaires: le Serti Mystérieux, le collier Zip, le Passe- Partout,… Y-a-t-il eu de grandes inventions déposées depuis lors?
Pas vraiment, parce qu’il faut beaucoup d’années de recul pour prendre conscience qu’une chose est révolutionnaire. Nous sommes dans une itération permanente: il y a très fréquemment des dépôts de brevets, mais ils portent sur de petites évolutions techniques qui permettent de faciliter le processus de fabrication.

Je pense aussi à toutes nos complications poétiques: ce ne sont pas des inventions en soi mais une manière différente d’approcher l’horlogerie, de manière très narrative, qui nous correspond bien. Et comme cela a inspiré beaucoup de nos collègues, on se dit que l’idée n’est pas si mauvaise…

Depuis votre nomination, quel est votre plus grand sujet de fierté?
Il y en a plein (rires)! L’Ecole est un vrai sujet de fierté, tout comme de nombreuses collections, mais je suis surtout très fier que la maison continue à démontrer que l’on peut pratiquer ce métier de manière très traditionnelle tout en le gardant attractif, intéressant et pertinent. Cette continuité, c’est probablement ma plus grande fierté.

Commencez à saisir votre recherche ci-dessus et pressez Entrée pour rechercher. ESC pour annuler.

Retour en haut