Organisé par Watches and Culture, le pôle culturel de la Fondation de la Haute Horlogerie, il a réuni quelques-uns des grands acteurs de l’industrie, comme Cyrille Vigneron, Président et CEO de Cartier et Marie-Claire Daveu, Directrice du Développement durable et des Affaires institutionnelles de Kering, ainsi que des ONG ou l’OCDE. Rencontre avec Pascal Ravessoud, Director of External Affairs de la Fondation de la Haute Horlogerie.
Comment est venue cette idée de créer un forum autour de la durabilité et ses implications concrètes pour l’industrie horlogère ?
En tant que fondation au service de l’industrie horlogère, nous avons cette vocation de prendre la parole, et une parole qui ne soit pas uniquement liée au produit. Paradoxalement, même si cette industrie horlogère est pluriséculaire, il n’existe pas de plateforme de débats. Fort de notre expérience d’organisateurs de forums horlogers, nous souhaitons créer une telle plateforme et nous positionner comme facilitateurs. Nous n’avons pas la vocation de faire de la régulation et nous ne sommes pas mandatés par des marques en ce sens, mais nous aimerions que l’horlogerie devienne plus vertueuse et pouvoir participer à ce mouvement autour de débats d’actualité. C’est la raison pour laquelle nous avons pensé à organiser des échanges dans un même lieu, sur la problématique de la durabilité, sous la forme d’un forum.
Ce forum n’était pas dédié uniquement à l’horlogerie: il y avait notamment le groupe Kering dont la principale activité est la mode.
Oui, mais la problématique est identique partout. Nous avons voulu nous baser sur les bonnes pratiques or celles-ci viennent des acteurs majeurs qui sont en avance dans ce domaine. Ils ont des moyens que des petites marques n‘ont pas et ils ont valeur d’exemple. Nous voulions faire participer des groupes multi produits à ce forum car ils sont une force d’inspiration pour les autres. En cette époque post-pandémie, on est entré dans une ère de collaboration.
En quel sens?
Prenons l’exemple de Panerai qui partage en open source toutes ses avancées sur la durabilité, avec ses concurrents, si ceux-ci le souhaitent, afin qu’ils ne perdent pas des années de recherches comme l’entreprise l’a fait. On assiste à une ouverture d’esprit qui n’existait pas auparavant. Ce forum aussi doit faire preuve d’ouverture et inviter des acteurs qui ne sont pas du secteur, comme de grandes ONG ou l’OCDE, par exemple. On pourrait envisager dans le futur d’organiser des panels qui n’ont rien à voir avec l’horlogerie et inviter des acteurs qui viendraient partager aussi leurs meilleures pratiques. C’est en discutant que l’on avance.

Ce qui est très compliqué, avec la thématique de la durabilité, c’est la multiplicité des problématiques qu’elle recouvre: lorsque l’on bouge un curseur, cela a un impact sur un autre curseur…
En préparant ce forum, très humblement, je me suis rendu compte que cela pouvait être parfois désespérant. Quand on prend la filière des peaux exotiques par exemple. Si l’on décide, pour des raisons éthiques d’y renoncer, on ne prend pas en compte toute la problématique qu’il y a derrière.
Cela crée des déséquilibres à d’autres niveaux: les éleveurs, les communautés qui les produisent et en vivent. Comment mesurer tout cela? Ce qui est très compliqué, c’est de maintenir la balance des intérêts à l’équilibre. Les acteurs pensent bien faire, mais finalement, ce n’est pas toujours le cas. Il y a peu de connaissances définitives en ce domaine.
En tant que pôle culturel de la Fondation de la Haute Horlogerie, avez-vous l’intention de faire des enquêtes et des analyses qui vont servir l’industrie dans le domaine de la durabilité ou souhaitez-vous vous en tenir à l’organisation d’un forum et laisser aux marques le soin d’aller plus loin?
Nous allons plutôt proposer aux marques qui nous le demandent de les accompagner sur ce chemin. Nous ne pouvons nous substituer aux ONG. Plutôt que de proposer des solutions, nous allons mettre en place des workshops, des espaces où ceux qui cherchent des solutions et ceux qui les proposent peuvent se rencontrer. Nous allons le faire de plus en plus régulièrement. Nous avons déjà mis en place une série de cours sur la durabilité qui expliquent les peaux exotiques, les problématiques de minage. Ce niveau de facilitation continue au- delà du forum.
Le fait que l’horlogerie soit un domaine moins gigantesque que la mode, qui est l’industrie la plus polluante qui soit, pensez-vous que la problématique de la durabilité puisse y être résolue plus rapidement et plus facilement?
Oui ce sera plus facile car l’horlogerie est aux antipodes de la mode: elle fait partie des 1 à 3% des industries les moins polluantes. Une montre est durable par essence: elle dure des générations, elle est réparable par des horlogers classiques et sa production elle-même est très peu polluante. Les aciers sont recyclés à 60%, beaucoup de choses ont été déjà faites dans une vision durable.
On sait que l’or est l’un des maillons faibles de toute la chaîne de production de l’horlogerie et de la joaillerie, mais là aussi, de nombreuses initiatives ont été mises en place concernant l’or éthique. Mais même si l’horlogerie est l’une des industries les moins polluantes, elle a un devoir moral d’agir.
Comment envisagez-vous l’évolution du forum?
Nous souhaitons l’ancrer annuellement et nous sommes déjà en train de préparer le prochain. Nous aimerions convier d’autres industries, comme le domaine financier par exemple. Et nous aborderons encore le thème de la durabilité l’an prochain, car il est essentiel et primordial.
Propos recueillis par Isabelle Cerboneschi
