La nouvelle campagne publicitaire pour le sac iconique de Chanel est un hommage au film de Claude Lelouch, Un homme et une femme de 1966 et une subtile manière de parler de sentiments avant de parler de l’objet même de la campagne. Elle a été réalisée par Inez & Vinoodh qui mettent en scène Brad Pitt et Penelope Cruz et raconte en moins de deux minutes la naissance du désir.
Isabelle Cerboneschi
La nouvelle campagne publicitaire pour le sac iconique de Chanel est une campagne qui ne dit pas son nom. Le sac bien sûr, y joue un rôle, mais presque secondaire: il est à la fois accessoire et essentiel. Les stars, ce sont Brad Pitt et Penelope Cruz, ambassadrice de Chanel depuis 2018, filmés par Inez & Vinoodh. Leurs personnages sont inspirés du film « Un homme et une femme de Claude Lelouch. Palme d’or du festival de Cannes 1966, Oscar du meilleur film étranger en 1967 et Oscar du meilleur scénario original, l’œuvre a marqué toute une génération de spectateurs et de cinéastes. Claude Lelouch fait également partie du casting: on le voit s’éloigner de dos en compagnie d’un chien sur la plage de Deauville. Joli clin d’œil.
Ce qui se joue, en moins de deux minutes, qui semblent durer beaucoup plus, c’est une histoire d’amour, de tension amoureuse, entre deux êtres qui ne se parlent pas, mais qui se disent leur désir avec les yeux, comme seuls deux immenses acteurs peuvent faire. On ressent le trouble de Brad Pitt, le feu de Penelope Cruz, qui s’agrippe à son sac lors de la mythique scène de la marche au bord de l’eau du film de Claude Lelouch. Ce dernier avait avait choisi Deauville pour interpréter cette histoire d’un homme et d’une femme qui tombent amoureux.
« Un homme et une femme parle de la perte, de l’amour et du choix d’aller de l’avant. Nous avons décidé de nous concentrer sur l’attraction, l’amour, et le jeu des acteurs autour de ce sentiment en recréant la scène du restaurant, mais avec un inversement des rôles. »
La fameuse scène du restaurant, justement, parlons-en. Inez et Vinoodh ont repris quasiment mot pour mot et plan par plan certaines séquences originelles du film, mais en intervertissant les rôles. On y voit Brad Pitt, qui rejoue le rôle de Jean-Louis Trintignant et Penelope Cruz, qui incarne Anouk Aimée, assis dans un restaurant d’hôtel. Ils se regardent sans parler, ou plutôt, les conversations, d’apparence anodines, sont en voix off. Ne leur reste que leur jeu d’acteur pour dire l’émotion, l’attrait, l’amour naissant. Si la scène n’avait pas été tournée en noir et blanc, on verrait sans doute Brad Pitt rougir. La sensualité qui se dégage de la séquence est troublante. « Ce qui est à la fois très mystérieux et très intéressant dans la manière dont (Claude Lelouch) représente cette relation et cette histoire d’amour, c’est que l’on peut en ressentir le danger. On sent, bien même s’ils ne le disent jamais, que les deux personnages savent qu’ils se mettent en danger parce qu’ils vont ressentir des sentiments très forts l’un pour l’autre. Je ressens cette peur chez les deux personnages, même s’ils ne l’expriment pas », explique Penelope Cruz à Chanel.
Deux autres personnages sont les spectateurs de ce qui est en train de se jouer, le jaillissement du désir, ce moment où tout bascule. Tout d’abord la jeune serveuse jouée par Rianne Van Rompaey qui prend la commande, ensuite le sac iconique de Chanel, reconnaissable entre tous avec son allure intemporelle, sa chaîne et son fermoir tourniquet. Il est présent mais discret, posé sur la table, comme le témoin muet d’une folle histoire d’amour en devenir. A peine après avoir passé commande, Penelope Cruz demande à la serveuse incarnée par Rianne Van Rompaey: « Il vous reste des chambres ? » Dans le film original, c’était Jean-Louis Trintignant qui posait la question, une autre époque.
Penelope Cruz ne savait pas que Claude Lelouch serait présent. « J’admire tellement son travail et j’ai découvert la veille du tournage qu’il serait avec nous sur le plateau et qu’il allait participer au film, explique-t-elle. Je pense que c’est un film révolutionnaire sur le plan visuel. Ensuite, on découvre à quel point il a été difficile pour eux de le réaliser, avec un si petit budget. Je pense qu’il n’y avait que 10 à 15 personnes dans l’équipe de tournage. On ne peut faire quelque chose comme cela qu’avec son talent. Je trouve ce film tellement moderne pour l’époque et je suis certaine qu’il le restera pour toujours. Les jeunes générations vont découvrir ce film et dire, « Mon Dieu, c’est tellement cool et tellement moderne ! » En même temps, Claude traite cette histoire d’amour avec une très grande profondeur. Il n’est pas seulement très riche visuellement ; il y a aussi tellement de degrés de lecture différents. C’est juste un excellent film, du début jusqu’à la fin. »
Parce que le film d’origine n’avait pas beaucoup de budget, Claude Lelouch a choisi de le tourner en trois semaines. « Un homme et une femme » était un film à tout petit budget. Nous tournions dans des décors naturels. Les comédiens tournaient avec leurs véritables vêtements… Et c’était tout simplement le véritable sac d’Anouk Aimée. Elle ne le quittait pas. Cela allait très bien avec sa personnalité, et nous l’avons finalement gardé pour le film », confie Claude Lelouch à Chanel. « Il raconte instantanément quelque chose de ses goûts et de son mode de vie. Tout comme dans le film original, le sac est toujours là ; c’est à la fois un hommage à son style et un témoin de leur amour naissant », relatent Inez & Vinoodh.
Virginie Viard, Directrice Artistique des collections Mode, une passionnée de cinéma et particulièrement par l’époque de la Nouvelle Vague, souhaitait rendre hommage à ce chef-d’œuvre de Claude Lelouch. Le choix de Deauville, où fut tourné le film originel, n’est pas non plus anodin. C’est dans cette station balnéaire que Gabrielle Chanel avait ouvert une boutique de chapeaux à son nom, en 1912. L’année suivante, elle y présentait ses premières créations de Haute Couture.
Que dit cette campagne du sac iconique de Chanel? Qu’il suit la femme qui le possède dans toutes ses aventures: ses jours, ses nuits, aussi belles soient-elles. Elle raconte aussi que le temps n’a pas d’emprise sur sa forme si reconnaissable. Il est intemporel, il l’était déjà en 1966 et le sera encore dans quelques décennies.