Par Isabelle Cerboneschi
Existe-t-il quelque chose de plus symbolique que le geste d’offrir ou de s’offrir un bijou qui incarne la chance? Van Cleef & Arpels en a fait l’une de ses spécialités. La maison de haute joaillerie a été créée en 1906 par Alfred Van Cleef – le fils d’un courtier en diamants – et Salomon – dit Charles Arpels – son beau-frère, fils d’un négociant en pierres précieuses.
Les premiers dessins de bijoux représentant un trèfle à quatre feuilles conservés dans les archives de la maison datent de 1920, mais il s’agissait de joyaux isolés, des clips, des broches, interprétant cette belle anomalie de la nature de manière assez réaliste. Un bijou sait jouer plusieurs rôles: il peut s’agir d’un objet de pouvoir, d’apparat, de transmission, un marqueur social, mais il peut aussi être considéré comme un talisman. Et justement, chez Van Cleef & Arpels, on a le goût de ce genre d’objet, le joaillier créant dès ses débuts des bijoux comme autant de gage d’amour ou d’objets précieux censés porter chance.
L’histoire voudrait que Jacques Arpels, le neveu de l’un des fondateurs, partait à la chasse aux trèfles à quatre feuilles dans le jardin de sa maison afin de les offrir à ses collaborateurs avec le poème « Don’t Quit », qui encourage à ne jamais abandonner. C’est lui qui a eu l’idée de créer un motif stylisé comportant quatre lobes. C’est ainsi qu’en 1968 apparaissent les premiers sautoirs formés de vingt motifs en or martelés et perlés en forme de quadrilobe.
Le nom de ce bijou? L’Alhambra, en référence aux motifs que l’on retrouve dans le palais du même nom, à Grenade. Mais d’après Catherine Cariou, directrice du Patrimoine chez Van Cleef & Arpels, impossible de dire quelle est l’origine exacte du motif quadrilobé. Ni abstrait ni figuratif, il fait évidemment référence au motif très présent dans les jardins de l’Alhambra à Grenade, mais il évoque aussi un trèfle à quatre feuilles que pourrait avoir proposé Jacques Arpels, très superstitieux“.
Dès les années 1950, Van Cleef & Arpels avait lancé des collections de broches animales amusantes, comme le «Chat Malicieux», désacralisant d’une certaine manière le luxe et plus particulièrement la haute joaillerie. Ces bijoux plus faciles à porter faisaient partie de l’offre de «La Boutique» qui avait ouvert ses portes en 1954 au 22 place Vendôme, à l’adresse historique de Van Cleef & Arpels, alors que son pendant newyorkais ouvrait au 774 Fifth Avenue, dès 1957.
En créant le sautoir Alhambra, Jacques Arpels avait l’intention d’introduire dans le catalogue de la maison des bijoux au prix plus abordable. L’Alhambra a automatiquement pris place dans l’offre parisienne dite de «La Boutique».
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Parce qu’il rompait avec les pièces de joaillerie traditionnelle serties de pierres précieuses, son succès fut immédiat. Avec ses motifs en or, ce collier était léger, facile à porter de jour comme de nuit et s’associait parfaitement avec la mode seventies, qu’elle soit « flower power » ou futuriste, comme les collections de Courrèges, de Paco Rabanne ou de Pierre Cardin.
Mais même s’il s’agit d’un bijou à porter au quotidien, l’Alhambra est fabriqué dans les règles de l’art joaillier et est l’expression du savoir-faire de la maison. Tous les métiers s’unissent pour réaliser un sautoir: lapidaire, sertisseur, polisseur, joaillier. Il faut compter une quinzaine d’étapes successives, de la sélection des pierres jusqu’au contrôle final, pour donner naissance à ce bijou iconique.
Dès son lancement, l’Alhambra a su séduire non seulement les clientes de la haute joaillerie traditionnelle, mais aussi leurs filles. Ce bijou n’avait pas pour vocation d’exprimer une quelconque rébellion, comme l’époque savait en générer: il s’agissait plutôt d’une interprétation moderne de la joaillerie par une maison sexagénaire. On l’a vu porter par de nombreuses personnalités comme Françoise Hardy ou Romy Schneider, laquelle arbore un sautoir Alhambra dans le film de Michel Deville, Le Mouton Enragé, sorti en 1974. Le prince Rainier avait offert un sautoir Alhambra à Grace de Monaco en 1973. Quant à la grande collectionneuse de bijoux qu’était Elizabeth Taylor, elle possédait une version du sautoir très rare en cristal de roche, qui a été adjugé par Christie’s en décembre 2012 pour la somme de 47’500 euros.
Quelques années plus tard, en 1971, alors que la mode des pierres fines fait rage, à la fois dans le domaine de la joaillerie que de l’horlogerie, Van Cleef & Arpels lance des motifs en pierres dures, comme la malachite ou le lapis-lazuli. Au fil des années, la maison ajoutera d’autres matériaux comme le corail, la turquoise, l’onyx, l’œil de tigre, la calcédoine, etc. Outre les différentes matières utilisées, le motif, lui, a peu évolué. Il faut attendre l’année 2001 pour voir apparaître une évolution stylistique du quadrilobe avec le lancement de la ligne «Pure Alhambra” au motif poli. L’esthétique d’origine, avec son contour perlé, s’appelle désormais «Vintage Albambra».
Le motif n’est plus seulement réservé aux sautoirs: dès 1998, il devient une montre, une bague, un bracelet, des boucles d’oreilles. Et en 2006, à l’occasion du centenaire de la maison, le trèfle se voit adjoindre d’autres motifs comme le papillon, le cœur, la feuille avec le lancement des créations Magic Alhambra, Lucky Alhambra et Byzantine Alhambra.
Rose gold, guilloché rose gold, carnelian
Rose gold, guilloché rose gold, carnelian, Swiss quartz movement
En 2018, pour marquer le 50ème anniversaire du motif Alhambra, Van Cleef & Arpels a rendu un hommage appuyé à la beauté des pierres qui l‘ont orné tout au long de son histoire: le lapis-lazuli, les diamants, le cristal de roche et l‘agate bleue, qui était apparue pour la première fois dans la collection en 1989 et qui est revenue sur le devant de la scène pour le plus grand bonheur des collectionneuses.
La collection n’a jamais cessé d’évoluer au fil des décennies, accueillant de nombreuses variations de tailles, de pierres, de couleurs et de matières. En 2023, c’est la cornaline qui est en mise en majesté enchâssée dans l’or rose, avec quatre nouvelles créations Alhambra, notamment une bague réversible qui peut être portée selon les envies, dans la tradition de versatilité propre à Van Cleef & Arpels et à son bijou iconique.
Jacques Arpels avait une devise: «Pour avoir de la chance, il faut croire à la chance». Cela a plutôt réussi au joaillier: 55 ans après sa création, même si la collection Alhambra est l’une des plus copiée qui soit, le sautoir est toujours l’un des best-sellers de la maison et continue à orner le cou des femmes et à traverser le temps.
« Créé par Van Cleef & Arpels en 1968, dans une tradition d’excellence et de savoir-faire, le sautoir Alhambra a capturé l’air du temps et offert de nouvelles manières de porter un bijou au quotidien. En cinquante ans, il est devenu une référence qui a profondément influencé l’histoire de la joaillerie »
Nicolas Bos, Président et CEO de Van Cleef & Arpels.